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Chez Dret à Fessy, la fin d'un café de village

Souvenirs, souvenirs… de Jeannot Malatti.

Qui n’a pas entendu parler du café chez Condevaux dit « chez Dret »

J’ai connu Franceline (1853-1924) et Marie Condevaux (1854-1938) qui tenaient ce café dans les années 30. J’avais trois ans à l’époque… Un petit café de village où les habitués consommaient le plus souvent dans la cuisine, à la sortie de la messe du dimanche. Au café Dret, quand il gelait dru, les joueurs de belote dégrafaient leur veste de drap noir ou bleu et la Marie leur mettait à chacun un couvercle bien chaud sur l'estomac pour les réchauffer. Elle remettait ça autant de fois que nécessaire.

Pour planter le décor, ce couple se composait de quatre filles : Génie, Marie, Célestine, Julie et un seul garçon Jules qui deviendra le maire de Fessy à la sortie de la guerre de 39-45… Nous les gamins on bénéficiait de la bonté de « Génie »… elle nous donnait des bonbons car elle tenait aussi une petite épicerie ! Ah ! Il n’y avait pas grand ’chose, des produits de première nécessité : sucre, café, sel, quelques paires de souliers à semelles de bois accrochées au plafond…

Et surtout c’était la cabine téléphonique, où tout le monde pour les besoins les plus urgents, demandait à avoir une communication téléphonique… pour les bonnes et mauvaises nouvelles.

Chacun des enfants avait un travail bien déterminé durant toute leur vie car il y avait aussi la ferme, les vaches, les travaux des champs avec deux chevaux : Blancblanc et Noirot. Jules le frère, avait marié la Louise X et faisait marcher la campagne…

Le quiproquo

Le dimanche, à la sortie de la messe, le Café « chez Dret » c’était le rendez-vous surtout des hommes… J’étais encore tout jeune et une histoire me fait encore sourire. Surtout racontée par Jean Jean, préposé et seul habilité à tirer les fusées anti grêle qui la raconte :

- Un soir d’aout, sous un ciel orageux et menaçant, Jean Jean scrute les nuages et dit : « J’ai préparé le matériel, le canon, les fusées et je me suis dit, maintenant y faut y aller » ! J’ai réveillée l’Odette qui était couchée et j’y ai dit « Viens vite y faut qu’on tire un coup » ! Ne se rendant pas compte de sa déclaration, il la répéta à la ronde et on la lui faisait répéter ! Allez Jean Jean, racontes-nous ce qui s’est passé hier soir avec l’Odette !!

Cette histoire en amène une autre : au village il y avait l’inséminateur tout de suite baptisé « le taureau en pantalon » et le préposé aux fusées surnommé « Gagarine » celui qui s’envoie en l’air !!!

Etant gamin, un souvenir inoubliable ! J’ai vu le retour d’Ulysse Petetin, prisonnier de guerre pendant 5 ans au fin fond de la Pologne. Pour l’occasion, c’est Jules à Dret avec le char à banc, Blancblanc et Noirot dans le brancard qui ramenait au village depuis la gare de Bons, Ulysse que nous, gamins à l’époque, on ne connaissait pas !!!

La batteuse

Et la batteuse qui s’installait dans la cour vers la grange, pendant deux jours car il y avait beaucoup de blé à battre… En parlant de batteuse, je voudrais vous raconter mon sentiment sur cette époque et aujourd’hui en 2019 pour comparer les différentes générations : il y avait deux préposés à la batteuse, Gaston Jordan et François Fillon qui la mettait en place pour le travail et leur place était au « foudroyant » (l’endroit où l’on enfourne les gerbes de blé). Il y avait au moins une quinzaine de personnes qui étaient mobilisées…

Le moteur était un Diesel et, dès les premiers tours de manivelle (pour la mettre en route), nos deux compères devenaient « tout noir » ; ce n’est pas pour rien que ce moteur avait été baptisé le « nègre »… Mais un jour, « le nègre » a rendu l’âme et il a fallu avoir recours à l’Electricité…

La puissance électrique à cette époque n’était pas suffisante et la batteuse s’arrêtait à chaque chute de tension ! Alors, un des préposés se rendait chez la « Génie », à la cabine téléphonique pour appeler EDF à Thonon. On avait la chance d’avoir à Fessy, le responsable qui était de Lully : Albert Meillasson ! Il montait en vélo depuis Thonon avec les griffes dans la musette afin de monter au poteau en bois et intervenir pour la panne. Tout cela aura duré deux heures au maximum permettant aux préposés d’aller boire un verre de maude…

Cela se passerait aujourd’hui : 1) Donnez-nous votre n° de département 2) tapez # 3) Nous n’avons pas compris votre demande 4) Recommencez l’opération

On serait dépanné trois jours après….

Le jeu de boules

Anne-Lise et Jean-Claude Reboul ont repris le café en 1980… L’épicerie a disparue pour faire une salle de restaurant et la partie café est restée identique avec l’installation d’un bar. Une bonne cuisine traditionnelle renommée dans les environs et qui fait le bonheur des ouvriers des chantiers voisins.

Attenant à la propriété Dret, il y a un terrain de boules qui n’est plus guère utilisé mais à notre époque, il s’y faisait le 1er dimanche d’aout un concours de boules à la Lyonnaise, qui bien souvent se terminait à la lampe de poche, avec , le soir le repas « chez Dret »…

La remise des prix était solennelle et il y avait de magnifiques lots ! Par contre, les derniers se voyaient octroyer la traditionnelle « courgette » !!

Le corbillard

C’était il y a plus de septante ans, même avant et après la dernière guerre mondiale quand il n’y avait pas de pompes funèbres. Le préposé devait sonner les cloches dès un décès annoncé, la nouvelle étant diffusée par plusieurs coups de cloche… la « définie ». Suivant le nombre de coups de « gong », on savait si c’était un homme ou une femme… C’était le Dauphiné de l’époque ! A part qu’aujourd’hui, par le journal on apprend que le défunt est déjà enterré… avant qu’on le sache !

Très souvent, on mourrait chez soi, les Urgences n’étaient pas encombrées… A tour de rôle, les proches veillaient la chapelle ardente, sans oublier la petite collation dans la nuit !

C’était le menuisier du village qui fabriquait le cercueil et à part « la définie », c’était le bruit de la raboteuse qui confirmait la mauvaise nouvelle.

Et puis, j’en arrive à l’anecdote qui me marque encore : c’était le cheval qui tirait le corbillard. Il n’avait pas été choisi au hasard et le cocher n’y était pour rien ! C’était Albert Lépine de Lully surnommé « zouze », préposé aux enterrements et le cantonnier local qui faisaient office de « pompes funèbres ».

A la sortie de l’église, dès que le cercueil avait franchi le seuil de la porte, des larmes perlaient des yeux du cheval ! A l’arrivée au cimetière, le corbillard s’arrêtait et restait à l’extérieur… Le cercueil était alors transporté par quatre hommes, en général de même taille!

Si la cérémonie à l’intérieur du cimetière s’éternisait, le cheval et son corbillard prenaient la direction du café « chez Dret »… comme pour prévenir de l’arrivée imminente du reste des vivants !!

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